MISE à MORT DU PERROQUET - DUBAï

A DubaÏ, dans le vieux quartier de Satwa, un perroquet se regarde dans une glace et n’a plus personne à qui parler.
Il a tout vu, ce perroquet. Le petit village de pécheurs posés sur le sable, les bédouins sur leur chameaux errant dans le désert, les plongeurs à la recherche de perles fines. Et presque d’un seul coup, un tremblement, le pétrole, le bitume, le béton. Des constructions effrontées affrontant le ciel et la ville toute neuve, bruyante et pressée, s ‘échappant en avant d’un pas lisse.
Il sait son quartier condamné à mort car il a trop de grain et gène la vie neuve autour. Beaucoup ont déjà été poussés dehors. Certains résistent et se couchent le soir dans les maisons mortes. Mais ça y est les grands vizirs visionnaires viennent de lancer l’ordre du haut d’une tour de verre. Demain les restes du quartier seront donnés en pâture à des pelleteuses. Demain on assassinera la maison du Docteur Rasool avec ce perroquet qui passe son temps à se souvenir. C’est un témoin gênant cet animal. Il pourrait révéler la violence des départs, le passé piétiné. Il pourrait répéter les pleurs des enfants, l’abandon des cahiers, des jouets, tout ce qui demeure sur place lorsqu’on est chassé violement de sa vie.
il sait maintenant qu’il va disparaître, mélangé a des gravas, en emportant avec lui deux dernières questions.
Où iront ces immigrés indiens et pakistanais qui animaient le quartier et cet Afghan croisé aujourd’hui dans un terrain vague, un bout de bois sec à la main sur lequel est accroché un petit essaim ?
Où ira cet Afghan après Satwa, avec son petit essaim porteur d’un peu de miel.
Et à qui le proposera t-il contre quelques Dirhams ?

Nicolas Joriot